Histoire des arts & contextualisation : le cinéma d'hier et d'aujourd'hui



Le son aux premiers temps du cinéma

En s’appuyant sur des recherches autour des premières projections et des premières salles de cinéma (projection avec musiciens en direct), de leur évolution, de la situation actuelle, il sera intéressant de discuter avec les élèves de leur vision du cinéma. Que représente pour eux aujourd’hui «aller dans une salle de cinéma»? Regardent-ils les films de la même façon sur grand écran ou en dehors de la salle de cinéma? Qu’est-ce qui peut différer?…

L'exposé qui suit, et sur lequel l'enseignant peut prendre appui, est tiré des propos de Martin Barnier, historien du cinéma.



Edison invente le phonographe en 1877, puis le kinetoscope en 1891 qui permet de voir des films courts à travers un œilleton. Le rêve d’Edison de coupler les deux appareils est réalisé par un de ses employés, W.K.L. Dickson, dès 1895. Mais, dans les salles, le son tarde à se généraliser. Avant d’entendre une bande-son enregistrée avec l’image, les sons au cinéma sont d’abord ceux du public, d’un conférencier, d’un musicien, d’un phonographe ou ceux de l’extérieur de la tente du forain. Plus tard on entend les sons produits par les premiers systèmes de synchronisation, puis les grands orchestres des salles de prestige. Le cinéma parlant se généralise au tournant des années 1930, mais le son du cinéma évolue encore : stéréo, son direct léger, Dolby, numérique… L’industrie adopte ces procédés, que certains cinéastes et artisans du son s’approprient pour inventer de nouvelles formes audio-visuelles.



1895 — 1935
Bonimenteur

Entre 1895 et 1914, dans tous les pays du monde, des « accompagnateurs de vues » interviennent pour donner des précisions sur les films projetés. Dans certains pays le bonimenteur reste un personnage important jusqu’à la généralisation du parlant dans les années 1930. C’est le cas au Canada francophone, ainsi qu'au Japon, où les benshis ont leur nom écrit plus gros que le titre du film sur les affiches.
Les conférenciers français aiment à donner des précisions historiques sur les films, ou à ajouter des anecdotes amusantes. Le bonimenteur peut faire changer le sens du film en créant des dialogues imaginaires, en plaçant de l’ironie dans un drame.... Dans les années1920 les grands orchestres des grandes salles concurrencent les « explicateurs de vues », mais les petits forains continuent le métier dans les régions éloignées des grandes villes et pratiquent l’art de l’accompagnement oral du film jusqu'aux années 1930.

1906 — 1915
Chronophone

Léon Gaumont participe lui-même à la mise au point de divers appareils, dont le Chronophone, qui synchronise film et disque. Un modèle expérimental fonctionne en 1902 mais c’est à partir de 1906 que le Chronomégaphone, un Chronophone couplé avec un système d’amplification des sons, est vendu aux forains puis aux salles en dur. Ce procédé est assez puissant pour qu'au Gaumont Palace, plus de 3000 spectateurs voient et entendent des chansons (phonoscènes), des sketches et des extraits de pièces de théâtre (filmparlants). Des centaines de petits films sont diffusés en France et à l’étranger sur des Chronophones, chaque semaine jusque vers 1915.
Le Chronophone synchronise à la projection un son et une image enregistrés l'un après l'autre (les chanteurs font du playback), puis en 1910 Gaumont expérimente le son direct, c'est-à-dire l'enregistrement simultané du son et de l’image.

1923 — 1935
VERS LE PARLANT

Au début des années 1920 des systèmes de son-sur-film sont proposés dans différents pays. La UFA investit dans la production d’un long métrage sonore et parlant, La Petite Fille aux allumettes, mais sa projection catastrophique, fin 1925, marque un coup d’arrêt du système Tri-Ergon en Allemagne. Aux États-Unis, les courts métrages parlants, chantants et musicaux de Lee De Forest ont une distribution limitée de 1923 à 1927. L’investissement de la Warner pour le procédé Vitaphone de synchronisation film/disque, suivi de près par la production de films d’actualités par la Fox (Fox-Movietone-News), donnent un coup de fouet en 1926-1927. Des films avec musique, chants et bruitages, ou avec les bruits et les discours des actualités popularisent les procédés dans les salles équipées, qui sont encore très peu nombreuses.
Suite à une grosse publicité sur Le Chanteur de jazz et à son succès relatif au printemps 1928, ainsi qu’à la réussite des actualités parlantes de la Fox, les autres grandes compagnies nord-américaines décident de produire des films parlants. À partir de 1929-1930, les productions s’accélèrent en Grande Bretagne, en Allemagne et en France où les films muets ne sont plus produits à partir de 1931. Des pays comme le Japon ou l’URSS passent au parlant un peu après.
On peut dire qu'en 1934-35 la généralisation du parlant est achevée.


«The jazz singer » / 3'17
1928

1894 — 1927
LES SONS DU CINÉMA MUET

Il faut situer les premières projections cinématographiques dans le contexte de l’époque pour comprendre le type de musique, de paroles et de bruits qui pouvaient être entendus. On oublie parfois que les spectacles proposant des histoires racontées dans le noir étaient courants : ombres chinoises, lanternes magiques, théâtres… Dans ce cadre on trouvait déjà un présentateur, bonimenteur ou conférencier. Très souvent un ou plusieurs instrumentistes jouaient une musique correspondant au spectacle. Parfois des bruitages étaient proposés. D’une certaine façon, l’accompagnement sonore préexistait à la projection de films. Jusque vers 1907, l’accompagnement sonore au cinéma reste très variable d’un endroit à un autre. À partir de cette date, les constructions de salles spécialisées pour le cinéma se multiplient. Une musique de film commence à se standardiser. Les orchestres s’étoffent dans les grandes salles. Les conférenciers disparaissent peu à peu au profit des musiciens, sauf dans les petites salles de quartier ou chez les forains. De nombreuses machines de bruitages sont vendues. La première guerre mondiale provoque en grande partie la fin des forains et la salle avec orchestre jouant des partitions devient la norme jusqu’à la fin des années 1920.



1895 — 1920
Bruits parasites

Les projections de film se font rarement dans un silence religieux… sauf dans les églises (où des séances ont lieu jusque vers 1908). En plus du bonimenteur, d’un ou de plusieurs musiciens et parfois d’un bruiteur, ou peut entendre divers bruits parasites. Dans la salle on entend le projecteur mais aussi le public, qui se fait entendre bruyamment : on crie en voyant apparaître certains personnages à l’écran ou quand on se voit juste après avoir été filmé (lors de défilés, de sorties de messe, de stade, d’usines…). Les bruits provenant de l’extérieur des lieux de projection, alors très divers (café, music-hall, foire), participent aussi à l’accompagnement sonore. Sur les champs de foire on entend autant la tente d’à côté que la machine à vapeur qui fournit l’électricité pour le cinématographe, que les cris de la foule passant devant la loge foraine… Quant aux salles en dur, on y entend souvent les bruits de la rue. Il faudra attendre les années 1920 pour avoir plus de silence dans les grandes salles avec des ouvreurs qui demandent au public de se taire.

1918
Orchestres et grandes salles

Après la première guerre mondiale, les forains sont beaucoup moins nombreux et les grandes salles spécialisées, parfois appelées « salles atmosphériques », se construisent dans les centres villes. On y trouve des orchestres allant jusqu’à 80 musiciens, parfois accompagnés de choristes. Les chefs d’orchestres choisissent les partitions avec soin pour chaque film : ils font des compilations d’œuvres classiques des XVIIIe et XIXe siècles, mais utilisent aussi des morceaux contemporains, des chansons populaires…
Parfois un compositeur écrit une partition complète pour un film (Arthur Honegger pour Napoléon de Gance, Gottfried Huppertz pour Metropolis de Lang, Erik Satie pour Entr’acte de René Clair), mais la plupart des musiques jouées dans les salles des années 1920 sont des compilations de morceaux connus. La musique classique de cinéma établit alors ses clichés : pour une cavalcade on fait par exemple résonner l’ouverture de Guillaume Tell de Rossini, ou la Chevauchée des Walkyries de Wagner.



1924
Dessins animés en son synchrone

De 1924 à 1927 les frères Max et Dave Fleischer, créateurs de Betty Boop et Popeye, s’associent avec Lee De Forest, inventeur d’un des premiers systèmes efficaces de son-sur-film, le phonofilm. Les Fleischer produisent ainsi les Ko-Ko Song Car-Tunes, ancêtres du karaoké : une bouncing ball rebondit en effet sur les syllabes des paroles défilant à l’écran, entrainant les spectateurs à chanter en chœur des chansons populaires. Ces cartoons aux musiques et chansons synchronisées apparaissent quatre ans avant Steamboat Willie de Disney, souvent présenté comme le premier dessin animé sonore.
En 1926, dans My Old Kentucky Home, les Fleischer insèrent même une phrase de dialogue synchronisée avec le mouvement des lèvres d’un personnage. Ces cartoons, ainsi que d’autres phonofilms produits par De Forest sont distribués dans trente-six salles de cinéma de la côte est des États-Unis jusqu’en 1927.


«Felix the cat – Feline follies» 4'40 1919


«Ko-Ko Song-Car-Tune» 4'10 1926


«Steamboat Willie» 7'20 1928



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